AID Association initiatives dionysiennes
32 ème chronique de la Macronésie

La Dotation Universelle d’Autonomie

par Dr Bruno Bourgeon, président d’AID

dimanche 7 janvier 2018 par JMT

Qui a dit que l’histoire ne se répétait pas ? mais peut-être qu’elle bégaie ? Lors de la précédente mondialisation libérale, au XIXè siècle, avec les grands empires politiques colonisant à tout va, à coup de guerres d’agression s’il le fallait, lors du "paradis des rentiers" qui a vu se constituer de nombreuses dynasties particulièrement fortunées toujours présentes, le travail des politiques était d’organiser la société en faisant respecter un "ordre bourgeois" au service des blancs quinquagénaires qui détenaient la quasi totalité des leviers de commande. On a ainsi vu se durcir les contraintes, qui allaient loin dans le détail jusqu’à réglementer la tenue (interdiction du pantalon pour les femmes !). Ca ne vous rappelle rien ? depuis quelques décennies nous sommes revenus dans les mêmes errements et sous prétexte de "sécurité", on réglemente tout et on pond une loi chaque fois qu’un incident secoue notre société surmédiatisée. Mais il y a un autre point commun avec le XIXè triomphant : la crainte des pauvres que les bien-pensants ont toujours voulu "civiliser", "éduquer", "normaliser" pour en faire des bons petits soldats du capitalisme (et au passage sa viande à canons au cours des guerres pour le partage du pouvoir et des richesses). On les a sans cesse rabaissés. Certes il fut une époque où entre les ravages de l’alcool, des maladies vénériennes et de la malnutrition, les "cours des miracles" des villes abritaient une faune propre à effrayer la bourgeoisie victorienne. Mais un siècle a passé. Désormais 40% des classes d’âge récentes chez nous sont du niveau universitaire. Doit-on continuer à considérer nos concitoyens comme des imbéciles incapables de gérer leurs vies et leurs finances ? Encore en 1945, lors de la création de la Sécu, on a commis, pour des raisons pratiques qui tenaient à la perpétuation du paiement en liquide (mais cela aurait été l’occasion de généraliser en même temps le paiement par chèque !) , un premier détournement des fonds revenant aux salariés en appelant "cotisations patronales" de l’argent pris sur le juste salaire (si les patrons français n’avaient pas reconnu qu’il fallait augmenter des ouvriers jusque là sous-payés pour le bien-être même de l’économie et de leurs affaires, ils n’auraient jamais accepté de payer lesdites "charges patronales"). Au lieu, comme en Suisse, d’augmenter les salaires et de laisser les salariés (ou leur banque) payer leurs assurances sociales obligatoires ou facultatives, on a précompté et on a introduit le patronat dans la gestion des caisses d’abord au 1/4 puis à 50% en 1967. Et depuis "la crise" de 1974, on ne cesse de voler les salariés, et surtout les moins payés, en "abaissant les charges" ce qui est un détournement de leur salaire indirect qu’on "compense" comptablement en leur demandant de contribuer par de la fiscalité qu’ils paient, double peine.

Le revenu de base sous toutes ses formes est clairement une réforme nécessaire pour remettre à plat tout le système social, pour revenir aux bases et faire en sorte que personne ne soit victime des "accidents" de la vie, sans bénéficier de la solidarité nationale.

Un pays ruiné et a moitié démoli a su le faire, sans compromettre, bien au contraire, son relèvement, tout en menant 17 ans de guerres coloniales d’un coût exorbitant,qui peut croire que la 6ème puissance mondiale actuelle en soit incapable ? Non, c’est l’imaginaire de la classe dominante qui déteint, toujours cette peur des pauvres qu’on dissimule derrière leur soit-disant incapacité à être autonomes si on leur en donne les moyens.

Première partie : Le revenu de base, un sujet très clivant

Tout le monde a un avis tranché sur lui, soit complètement pour, soit complètement contre. Et souvent on ne sait pas pourquoi. Trois clichés dominent la façon dont on le perçoit : il encouragerait la paresse, il remet en cause la « valeur travail », il est infaisable et irréaliste.

Il ? Le revenu de base, ou allocation universelle ; personnellement je préfère le terme de dotation universelle d’autonomie (DUA), qui est plus explicite. C’est l’argent que l’on donne sans contrepartie à tout le monde ; or, d’habitude, lorsque l’on donne de l’argent, on attend quelque chose en échange : rechercher un travail, travailler plus, justifier qu’on en a besoin, ou qu’on le dépense bien. Bref, si l’on donne sans contrepartie, on a l’impression que les gens feront n’importe quoi avec. Rien n’est plus faux : voici trois clichés mis à mal dans leur analyse sur la DUA

Premier cliché : la DUA, c’est pour les pauvres.

Et s’ils sont pauvres, c’est qu’ils ne savent pas gérer un budget. Pourtant, c’est bien quand on a des difficultés à boucler ses fins de mois qu’on est le plus attentif à gérer son budget. Plusieurs expériences dans le monde ont montré cela, dont une en Ouganda : en 2008, on a attribué à des jeunes gens 1 an de revenus sans conditions. Résultat : l’argent a été dépensé essentiellement en formation et en création de commerces de proximité ; Cela signifie que ces jeunes avaient besoin d’un coup de pouce pour démarrer.

Deuxième cliché : la DUA, c’est pour les chômeurs.

Faux : c’est pour tout le monde. Si vous travaillez, vous pourriez changer de travail pour occuper ce job qui vous attire tant, mais moins bien rémunéré. Ou vous pourriez réduire votre temps de travail pour vous occuper d’autres projets, ou de votre famille. Et si vous cherchez un emploi, c’est du stress en moins. Une expérience pilote en cours en Finlande l’a montré : 2000 chômeurs reçoivent une allocation sans conditions. Ils ne craignent pas d’avoir à rembourser cette somme s’ils ne trouvent pas d’emploi.

Troisième cliché : la DUA est infaisable, impayable, irréaliste.

C’est en fait un autre modèle de société auquel elle sous-tend, où chacun pourrait vivre en adéquation avec ses valeurs et ses envies. C’est une certaine idée de la liberté, en fait. Et financièrement, ce modèle s’autoalimente par des effets de vases communicants. Ça coûte bien moins cher que les systèmes sociaux actuels. Une expérience l’a prouvé à Londres en 2008, où une association de quartier a donné l’équivalent de 3000 £ en liquide à 13 SDF, sans contrepartie. Au bout d’un an, cet argent a été très bien dépensé, pas gaspillé : 800 £ ont été dépensées sur les 3000, et 11 SDF sont sortis de la rue, où ils coûtaient à la société 11 fois plus cher.

Alors la question qui tue : ce revenu de base, on commence quand ?

Dr Bruno Bourgeon, président d’AID http://aid97400.lautre.net

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MEDIAS LOCAUX PREMIERE PARTIE

* Courrier des lecteurs de Zinfos974 du Lundi 8 Janvier 2018 - 13:00

* Courrier des lecteurs du JIR

* Courrier des lecteurs dans Le Quotidien du 10 janvier 2018

VIDEO

* Le revenu de base en trois clichés

LIENS

* Site du parti écologiste belge francophone

* Argumentaire sur le revenu de base

PDF - 55.4 ko
Argumentaire DUA Ecolo.be

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Deuxième partie : Quatorze bonnes raisons pour la dotation universelle d’autonomie

L’un des instruments qui pourrait permettre d’améliorer notre protection sociale est le revenu de base, ou dotation universelle d’autonomie (DUA). La DUA est une réponse aux défis économique, social, écologique et démocratique de nos sociétés.

1. Une DUA pour améliorer, compléter et moderniser notre protection sociale

Alors que les cotisations sont perçues de manière individuelle, l’octroi des prestations est perçu par ménage. Ceci peut créer des inégalités, tend à rompre les solidarités, et pousse l’individu à développer des stratégies qui relèvent plus de la survie que du délit : travail au noir, domiciliation fictive.

D’un autre côté, le monde du travail rencontre de profondes mutations : automatisation, robotisation, délocalisation, hybridation des statuts et parcours, activités complémentaires, impact du numérique.

Pour avoir droit à des prestations sociales, il faut payer des cotisations. L’universalité de la couverture sociale dépend donc de la capacité de la société à assurer du travail. Ce modèle ne protège pas ceux qui ne sont pas encore entrés dans le monde du travail, ou qui en sont restés longtemps exclus. Il protège mal les femmes qui travaillent dans des conditions atypiques et se retrouvent en situation de dépendance.

Enfin, la poursuite de la croissance telle que nous la connaissons n’est certainement plus désirable. Ce nouveau modèle se heurte à une série de freins et d’obstacles du fait de notre grande dépendance au modèle croissanciste.

La conception de nouveaux outils est fondamentale pour maintenir un niveau de solidarité important. Une modification de notre système de protection sociale peut être bénéfique à la condition de concevoir des instruments permettant la restructuration de notre économie et la sécurisation des parcours individuels.

2. Une DUA parce que les expériences montrent que ça marche

Dans certaines expériences, l’argent donné gratuitement est utilisé dans des formations ou pour le lancement d’activités économiques. Les individus en font bon usage, et la consommation d’alcool, de tabac et de drogues diminue. La santé, la fréquentation et la performance scolaire s’améliorent. L’éradication de la pauvreté s’autofinance par la baisse des coûts sociaux, et parce que sortir une famille de la pauvreté crée des revenus et des recettes fiscales supplémentaires.

3. Une DUA pour faciliter les droits sociaux, éviter les non recours et la stigmatisation

Le système actuel de protection sociale provoque un phénomène de non recours, soit l’existence de personnes qui ont droit à une allocation mais n’en font pas la demande. Il s’explique par le manque d’information ou l’incompréhension du bénéficiaire, la complexité du dispositif, les incertitudes juridiques et la lourdeur des démarches ; le non recours peut s’apparenter à une « non-demande » volontaire : « effet repoussoir » ou « stigmatisant ». Un revenu de base vise à passer d’une société de défiance et de vérification à une société de confiance et d’émancipation.

4. Une DUA pour individualiser les droits sociaux

Notre Sécurité sociale est imprégnée de la vision sociologique qui prédominait en 1944, basée essentiellement sur le modèle social de l’homme gagnant seul l’argent du ménage. Il découle de cette vision que la protection sociale est principalement construite autour de la famille et de la notion de « ménage ». L’individualisation des droits sociaux apparaît comme utile et nécessaire afin d’appréhender les changements.

5. Une DUA pour lutter efficacement contre les pièges à l’emploi

Ici le bénéficiaire d’allocations n’a aucun intérêt à travailler car son salaire ne compense pas la baisse ou la suppression des allocations auxquelles il aurait droit s’il ne travaillait pas, et les dépenses liées au retour à l’emploi (dépenses de déplacement, frais de garde). Comme la DUA est inconditionnelle, elle permet d’éviter les pièges à l’emploi. Avec la DUA, une personne gagne plus si elle trouve un emploi ou augmente son travail. Les pertes de revenus liées aux diminutions d’allocations familiales ou sociales des autres membres du ménage ne peuvent plus se produire.

6. Une DUA pour faciliter les transitions, libérer les énergies et les initiatives

Une DUA représente une certaine garantie de revenu pour tous les citoyens. Chacun peut « activer » cette bulle d’oxygène pour réduire son temps de travail et mener à bien des activités de tous types. Mais aussi faciliter des démarches de transition écologiques.

7. Une DUA pour lutter efficacement contre la pauvreté et les inégalités

En garantissant la DUA, en libérant les solidarités, en supprimant tout piège à l’emploi et les non recours, en donnant immédiatement via la DUA des enfants des avantages fiscaux aujourd’hui délayés dans le temps, les plus pauvres s’en sortent mieux. La DUA va encourager la mise à l’emploi des plus précaires (au travers de la lutte contre les pièges à l’emploi), encourager les domiciliations réelles et favoriser ceux qui ont des revenus partiels. Tout peut s’accumuler.

8. Une DUA pour rapprocher les statuts

La Sécurité Sociale fonctionne sur base de régimes, de statuts et de caisses. Dans un tel contexte, une reconstruction de notre système de protection sociale s’appuyant sur un revenu de base, complété par des allocations sociales centrées autour d’un nombre limité de dispositifs et une harmonisation des prélèvements, devrait garantir plus d’équité et une meilleure lisibilité.

9. Une DUA pour lutter contre l’oisiveté

L’individualisation des droits sociaux permet de supprimer les droits dérivés et d’offrir la même protection sociale à tous. Or la DUA est plus efficace pour lutter contre les pièges à l’inactivité car elle ne disparaît pas quand on décroche un emploi et permet de rendre le travail attractif et payant même à temps partiel.

10. Une DUA pour favoriser la formation et l’intégration des jeunes

La précarisation des parcours des jeunes nécessite des innovations car la jeunesse est un investissement pour la société. Un revenu de base permet de compenser la limitation de l’accès à l’allocation d’insertion. Ainsi, les 18-30 ans seraient dotés d’une aide plus importante pour participer au financement de leurs études, formation et début dans la vie active.

11. Une DUA pour se préparer à la restructuration de l’emploi et faciliter les transitions

Si l’impact du développement du numérique et de la robotisation sur le marché de l’emploi ne fait pas l’unanimité, le travail comme nous le connaissons va être impacté et l’on va assister à un émiettement des carrières. Du fait du progrès technique, il faudra sans cesse se reformer, trouver de nouveaux emplois. Les parcours professionnels vont être plus variés. La DUA se justifie pour faciliter les transitions et garantir une protection sociale plus flexible.

12. Une DUA pour plus de pouvoir de négociation pour les travailleurs

Le revenu de base redonne du pouvoir de négociation aux individus, puisque une part de leur revenu ne dépend plus de la décision de l’employeur ou des aléas du marché du travail. Attention cependant, le revenu de base ne peut, à lui seul, être la solution à la précarité professionnelle. Il faut le penser dans le cadre d’un contrat social complet, avec les autres droits sociaux, et être soutenu par des services d’accompagnement (garde d’enfant, mobilité, éducation et formation…).

13. Une DUA pour dissocier revenu, travail et emploi

Depuis maintenant 40 ans, les gouvernements ont constamment promis le retour au plein-emploi sans y parvenir. Il est temps de dissocier l’accès au revenu de l’occupation d’un emploi. D’autant que le travail (activité humaine qui produit de la valeur), existe au-delà de l’emploi (activité professionnelle rémunérée et déclarée), davantage encore dans une économie fondée sur l’immatériel. L’emploi est rare, le travail abondant.

14. Une DUA pour s’émanciper du productivisme et préparer un monde post-croissance

L’heure est-elle toujours à rechercher un haut niveau d’emploi dans un monde de montée des inégalités, de pauvreté salariale et d’épuisement des ressources ? En découplant l’emploi rémunéré de l’activité, la DUA peut aider à sortir de la logique productiviste et faciliter la post-croissance. Un monde où l’économie n’aurait plus pour objectif de produire et consommer, au risque de détruire la vie, mais d’assurer le bien-être de tous, dans un cadre écologiquement soutenable. Le relatif retrait du monde productif qu’encourage la DUA doit être vu comme positif.

En combinant solidarité et assurances sociales, en simplifiant la redistribution des revenus, en augmentant les espaces d’autonomie, en luttant contre la pauvreté, en libérant les solidarités, la DUA est une sortie par le haut des crises de notre société. Elle est suffisamment novatrice pour changer le contexte de nos choix et comportements et suffisamment ancrée dans les conquêtes sociales de l’après-guerre pour permettre l’adhésion de tous. La DUA est une véritable innovation sociale du XXIe siècle qui répond aux évolutions de la société vers la post-croissance.

Dr Bruno Bourgeon, président d’AID http://aid97400.lautre.net

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MEDIAS LOCAUX DEUXIEME PARTIE

* Courrier des lecteurs de Zinfos974 du Lundi 8 Janvier 2018 - 17:00

* Courrier des lecteurs du JIR

* Courrier des lecteurs dans Le Quotidien


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