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La fin de la Françafrique ?

LE SOMMET AFRIQUE FRANCE DE NICE

compte-rendu et réactions

mercredi 2 juin 2010 par JMT

La "photo de famille" ne ressemble pas à celle des précédentes grand-messes franco-africaines. Pour clore son premier sommet du genre, devant la presse, mardi 1er juin à Nice, Nicolas Sarkozy a choisi de s’entourer de trois chefs d’Etat dont un seul, le Camerounais Paul Biya, est francophone.

Ibrahima Thioub ,54 ans, est sénégalais et professeur d’histoire à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Spécialiste des traites négrières, de l’esclavage et de la décolonisation, il a participé à l’ouvrage L’Afrique de Sarkozy, un déni d’histoire (Karthala, 2008). Il est actuellement résident à l’Institut d’études avancées de Nantes. M.Thioub a participé au débat sur l’Afrique organisé par Le Monde le 20avril, dont la vidéo peut être consultée sur Lemonde.fr.

Les dirigeants africains, soutenus par la France, ont appelé lundi 31 mai lors du sommet Afrique-France à Nice, à se voir attribuer toute leur place dans les grandes enceintes internationales, Conseil de sécurité de l’ONU en tête.

Le 25e Sommet des chefs d’État de France et d’Afrique à Nice revêt une importance singulière en cette année du 50e anniversaire des « indépendances » africaines : les cinquante ans qui viennent de s’écouler sont cinquante ans d’indépendance sans souveraineté, cinquante ans d’une Françafrique de plus en plus rejetée.

Les affaires continuent comme à l’habitude. Certes Nicolas Sarkozy a évité d’évoquer « l’homme africain, qui n’est pas rentré dans l’histoire », comme dans son discours de Dakar. Sans pour autant offrir aucune perspective nouvelle.

Sommet de Nice : Nicolas Sarkozy veut tourner la page de la Françafrique

Le Monde.fr 01.06.10 à 22h57 • Mis à jour le 02.06.10 à14h44

AP/Bob Edme De gauche à droite : Paul Biya, président du Cameroun, Bingu wa Mutharika, président du Malawi, Nicolas Sarkozy et Jacub Zuma, président de l’Afrique du Sud.

La "photo de famille" ne ressemble pas à celle des précédentes grand-messes franco-africaines. Pour clore son premier sommet du genre, devant la presse, mardi 1er juin à Nice, Nicolas Sarkozy a choisi de s’entourer de trois chefs d’Etat dont un seul, le Camerounais Paul Biya, est francophone.

Le message était clair : le président français, en s’affichant aux côtés de Jacob Zuma, président de l’Afrique du Sud, locomotive du continent, de Meles Zenawi, premier ministre d’Ethiopie (10 % de croissance par an) et de Bingu wa Mutharika, chef du petit Malawi mais surtout président de l’Union africaine, a voulu signifier que désormais "la France parle à toute l’Afrique" et pas seulement à ses anciennes colonies.

"Nous sommes tous des amis", a martelé le président, multipliant flatteries et promesses. "Sur l’échec de l’Afrique se construira le désastre de l’Europe et sur le succès de l’Afrique se construira la croissance, la stabilité et le succès de l’Europe", a-t-il lancé. En perte de vitesse sur le continent, la France souhaite reconquérir un rôle de leader diplomatique et pousser ses entreprises, notamment face à la concurrence chinoise.

"TOURNER LA PAGE D’UNE RELATION COMPLEXE ET COMPLEXÉE"

"Les raisons de travailler avec vous ne sont simplement liées à l’histoire, mais aussi à l’avenir", a déclaré M. Sarkozy, soucieux de "tourner la page d’une relation complexe et complexée". Se disant "très sensible" à la présence du président algérien, Abdelaziz Bouteflika, et désireux de démentir l’existence d’un froid entre les deux pays, le chef de l’Etat a affirmé qu’"il faudrait du temps", et un travail libre des historiens, pour apaiser la relation franco-algérienne.

M. Sarkozy a annoncé qu’il allait "se battre" pour remédier à l’absence de représentant du continent au Conseil de sécurité de l’ONU, absence qu’il a qualifiée d’"anomalie". Mais son projet de créer une nouvelle catégorie de représentants des Etats désignés pour une période limitée et dépourvus du droit de veto est loin de faire l’unanimité parmi les responsables africains, qui ont néanmoins promis de l’étudier. La promesse d’"assurer une plus large représentation des Etats africains" à l’occasion de la prochaine présidence française du G20 a été faite.

A propos de la lutte contre le changement climatique, Nicolas Sarkozy a réaffirmé que les engagements – incertains – des pays industrialisés à verser 30 milliards de dollars d’ici à 2012 pour aider les pays africains à s’adapter seraient "scrupuleusement tenus". Le sommet s’est accordé sur "la nécessité de créer un système de financement à long terme" permettant d’atteindre un financement de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, indique la déclaration finale. "Nous voulons que le président Sarkozy soit notre avocat dans ce domaine", a déclaré le premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, négociateur en chef du continent sur le climat, tandis que le président sud-africain, Jacob Zuma, qualifiait le sommet de "très utile".

LE PATRONS CONVIÉS, LA SOCIÉTÉ CIVILE OUBLIÉE

Le dernier volet de l’opération de séduction française concerne les entreprises. Désireuses d’afficher leur différence et leur moralité, les organisations patronales françaises ont adopté une charte visant à affirmer leurs exigences sociales et environnementales et à bannir la corruption. Mais aucun mécanisme de contrôle de ces engagements ne semble prévu. "Les entreprises veulent s’inscrire au cœur d’une nouvelle relation avec l’Afrique", a déclaré Laurence Parisot, présidente du Medef.

Le sommet de Nice a permis à Nicolas Sarkozy de sortir du débat empoisonné sur le soutien de la France à des régimes corrompus ou mal élus, et sur la persistance de filières parallèles d’influence dans les anciennes colonies. Mais les dossiers de la présence africaine dans les enceintes internationales et du climat, s’ils constituent des importants leviers d’influence, n’ont guère de conséquence immédiate sur les populations africaines souvent réduites à la survie. Alors que le patronat africain avait été convié à Nice, la société civile, principal vecteur de lutte pour l’amélioration des conditions de vie et la défense des libertés, elle, y brillait par son absence.

Philippe Bernard

L’Afrique et ses élites prédatrices

Le Monde 31.05.10 à14h16 • Mis à jour le 31.05.10 à 16h38

A propos de l’interviewé

Ibrahima Thioub, 54 ans, est sénégalais et professeur d’histoire à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Spécialiste des traites négrières, de l’esclavage et de la décolonisation, il a participé à l’ouvrage L’Afrique de Sarkozy, un déni d’histoire (Karthala, 2008). Il est actuellement résident à l’Institut d’études avancées de Nantes. M.Thioub a participé au débat sur l’Afrique organisé par Le Monde le 20avril, dont la vidéo peut être consultée sur Lemonde.fr.

Considérez-vous les indépendances africaines comme une réalité ?

Formellement, les Etats ont accédé à la souveraineté internationale en 1960. Mais ce changement juridique ne signe pas la fin de la colonisation, c’est-à-dire d’une exploitation économique doublée d’une soumission à une autre culture.

Après 1945, le rapport colonial ne pouvait plus se maintenir car la participation des Africains à la seconde guerre mondiale l’avait radicalement transformé : ils avaient pris conscience que l’égalité était possible, d’autant que d’autres territoires colonisés réclamaient leur émancipation.

Pourquoi la France a-t-elle cependant gardé la main ?

La métropole a su négocier une sortie la plus favorable possible. Elle a transféré le pouvoir aux segments du mouvement nationaliste les plus à même de préserver le lien colonial. Elle a éliminé les plus radicaux par la répression sanglante comme au Cameroun ou par la manoeuvre politique, comme en Côte d’Ivoire ou au Sénégal.

Vous soulignez la prise de conscience des tirailleurs et les luttes syndicales engagées après la guerre. Les instruments de la contestation ont-ils été transmis par le colonisateur lui-même ?

Oui, et c’est là un des grands problèmes de la décolonisation. Les dominés se réapproprient le discours du colonisateur pour le retourner contre lui, construire leur propre identité et légitimer leur combat. Pour affirmer leur unité, ils se définissent par référence à l’élément le plus simple : la couleur de la peau, ou la négritude chère à Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Ce faisant, ils ne sortent pas du système et s’enferment dans le piège d’une identité que j’appelle "chromatique".

Car la couleur de la peau est l’élément qui fondait non seulement l’ordre colonial mais aussi la traite négrière. Réduire les Africains à ce facteur naturel symbolisant leur prétendue sauvagerie servait à les expulser de l’Histoire.

Comment ce piège a-t-il fonctionné ?

Les nationalistes ont récupéré cette identité et l’ont inversée pour démontrer que l’Afrique a une civilisation et une histoire, la négritude. Mais l’acceptation de cette définition chromatique a empêché de voir que les Africains forment des groupes aux intérêts très variés, plus ou moins accommodants avec le pouvoir colonial.

Jusqu’à aujourd’hui cette vision raciale produit des effets pervers : quand un bourreau est africain et noir, on a du mal à le traduire en justice pour peu que les juges soient blancs, alors que ce serait l’intérêt des victimes qui peuvent être noires.

Vous contestez le récit de la traite négrière qui en fait un pur pillage des Africains par les Blancs. Pourquoi ?

La vision "chromatique" de l’Afrique aboutit à une vision fausse de l’esclavage. La traite ne se limitait pas à la vente de Noirs à des Blancs dans des ports africains. Elle englobe la manière dont les esclaves étaient "produits" à l’intérieur du continent et acheminés sur la côte.

Ce système atlantique était une organisation globale, qui mettait en relation, dans un partenariat asymétrique mais intéressé, les compagnies européennes avec des élites africaines. Celles-ci utilisaient la traite pour redéfinir les rapports de pouvoir sur le continent.

En quoi la responsabilité des élites africaines renvoie-t-elle à l’histoire des indépendances ?

Dans n’importe quelle ville africaine, je suis frappé par la coexistence entre le grand nombre de 4 × 4 de luxe, et l’usage d’un moyen de transport qui remonte au néolithique, la tête des femmes.

Cela signifie que les élites, au prix d’une violence extrême exercée sur les populations, s’emparent des ressources du pays, les exportent, et dépensent les recettes ainsi dégagées en achetant à l’étranger des biens d’une totale inutilité sociale autre que symbolique de leur capacité de violence. Ils ruinent les pays en pompant la force de travail des corps subalternes qui sont réduits à la misère.

La réponse de la partie la plus dynamique de ces populations, c’est la fuite, les pirogues vers l’Europe.

Il ne s’agit pas d’esclavage...

En quoi cela se distingue-t-il de la traite ? A l’époque, des compagnies européennes apportaient en Afrique des biens tout aussi inutiles et destructeurs, comme la verroterie, l’alcool et les armes. Elles les remettaient aux élites qui organisaient la chasse aux esclaves. Déjà, le pillage permettait aux élites d’accéder aux biens de consommation importés. Aujourd’hui, le système s’est perfectionné puisque les esclaves se livrent eux-mêmes : ce sont les émigrés.

En quoi ce parallèle éclaire-t-il la question de l’indépendance des Etats africains ?

Si vous voulez comprendre le système de la traite négrière, observez le comportement actuel des élites africaines. Pourquoi nos systèmes de santé et d’éducation sont-ils aussi vétustes ? Parce que les élites ne s’y soignent pas et n’y éduquent pas leurs enfants, ils préfèrent les pays du Nord. Leur système de prédation ruine les campagnes et contraint les populations à s’exiler. Au point qu’aujourd’hui, si vous mettez un bateau dans n’importe quel port africain et proclamez que vous cherchez des esclaves pour l’Europe, le bateau va se remplir immédiatement.

Certes, ce système fonctionne au bénéfice des multinationales, mais il n’existerait pas sans des élites africaines. A l’époque de la traite négrière, l’alcool et les fusils achetés aux Européens leur permettaient de se maintenir au pouvoir. Désormais ce sont les 4 × 4 et les kalachnikovs.

Beaucoup de discours expliquent les malheurs de l’Afrique par la traite négrière et magnifient la résistance des Africains à la colonisation. Vous vous inscrivez en faux ?

Les traites esclavagistes et la colonisation ont certes ruiné l’Afrique. Les Africains qui en étaient les victimes leur ont opposé une farouche résistance. Les discours qui unifient les Africains autour de la couleur de la peau étaient nécessaires pour lutter contre le colonialisme. Ils ne servent plus maintenant qu’à masquer la réalité de notre soumission aux pays occidentaux.

L’Afrique est aujourd’hui convoitée par des puissances (Chine, Inde, Brésil, etc.) sans lien colonial avec elle. Ce contexte nouveau peut-il faciliter une nouvelle émancipation ?

A l’époque de la guerre froide, les leaders africains jouaient déjà l’Occident contre le communisme pour obtenir le maximum. Aujourd’hui, ils peuvent miser sur la Chine, l’Inde, l’Iran, contre l’ancienne puissance coloniale, mais ils conservent leur culture de prédation. Pour les peuples africains, cela ne change rien. Tant que nos élites se contenteront de multiplier leurs partenaires pour leur livrer les matières premières et non développer la production, elles reproduiront le système qui a mis l’Afrique à genoux.

Pourquoi la France a-t-elle tant de mal à lâcher la bride à ses anciennes colonies ?

La colonisation avait fondé un empire qui incluait la métropole. En 1960, la France a cru que seule l’Afrique était à décoloniser alors que les Français et leur mentalité devaient l’être également. Rappelez-vous le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007 ! Il dissertait sur "l’homme africain" comme s’il se trouvait encore dans la capitale de l’Afrique occidentale française !

Regardez à Paris les rues qui portent le nom de colonisateurs ! Les Français les ignorent, mais pas nous ! L’image de l’Afrique coloniale n’a jamais été déconstruite en France. Elle sert les intérêts des tenants de la Françafrique. Cela entretient des rapports très conflictuels avec les populations des anciennes colonies qui ne comprennent pas l’attitude de la France, notamment en matière d’immigration.

N’est-il pas contradictoire de réclamer l’indépendance et le droit à émigrer ?

On ne peut pas avoir soumis par la violence des populations qui ne demandaient rien, permettre encore aux capitaux et aux citoyens français de s’implanter facilement dans ces territoires et, un beau jour, décider que la France n’est faite que pour les Français de France. Il faut tirer les conséquences de l’histoire de la France et des relations très particulières qu’elle a nouées avec ses colonies. Le slogan "La France aux Français" a un corollaire : "les Français en France".

En quoi cette histoire fonde-t-elle aujourd’hui un droit à l’immigration ?

Mais les capitaux et les hommes continuent de circuler librement du Nord au Sud ! Pourquoi la plupart des banques du Sénégal sont-elles des filiales de banques françaises, alors que les Sénégalais n’ont pas le droit d’aller travailler en France ? Pourquoi la remise en cause de la libre circulation des biens est-elle considérée comme un scandale, alors que la fermeture des frontières aux hommes est perçue comme normale ?

Les stratégies de développement affichées par les Etats au moment des indépendances ont échoué. Pourquoi ?

On était parti de l’idée que la toute-puissance de l’Etat appuyée sur un parti unique allait assurer le développement. On allait rattraper l’Europe en 2000 ! Par référence à la toute-puissance de l’Etat colonial, on a fétichisé l’Etat. Cela s’est avéré totalement inefficace parce que le groupe qui s’est emparé de l’Etat s’est servi de son pouvoir pour accumuler des richesses en étouffant l’initiative privée. Dès la fin des années 1970, le système a capoté. Les anciennes métropoles ont délégué le soutien financier au FMI et à la Banque mondiale qui ont disqualifié les Etats et promis le développement par le marché. Cela a produit des catastrophes encore plus graves que l’Etat.

L’émergence des sociétés civiles ne constitue-t-elle pas une conquête ?

Avec l’austérité imposée dans les années 1990, il était difficile de continuer à étouffer l’espace public. L’abandon des subventions agricoles a provoqué l’exode rural et les villes surpeuplées sont devenues des espaces de contestation.

On a "ONGisé" les sociétés pour suppléer les services publics. Ces organisations ont structuré la société civile, mais elles ont été récupérées par les élites. Les groupes qui détournaient l’argent de l’Etat accaparent désormais les ressources des ONG pour financer d’inutiles colloques ainsi que des flottes de 4 × 4, symboles de la néocolonisation de l’Afrique et agents actifs de détérioration de son environnement.

Des mouvements de contestation existent...

Certains intellectuels contestent radicalement le fonctionnement des Etats, mais c’est pour mieux négocier leur place. Du jour au lendemain, ils se retrouvent ministres du pouvoir qu’ils vilipendaient la veille. L’idée selon laquelle on accède aux ressources non par le travail mais par la simple posture politique est profondément ancrée.

Avec leurs limites, les vraies luttes de la société civile sont le fait des syndicats de travailleurs, des associations de base qui ciblent les conditions concrètes de vie. Ils arrachent toujours plus de liberté de manifester, de protester, de contester, relayés par la presse et les artistes.

En cinquante ans, les libertés d’expression et de la presse ont tout de même énormément progressé...

Dans beaucoup de pays, on a réussi à construire une presse indépendante grâce au courage physique de certains journalistes. Les gens sont si attachés à la liberté de la presse et des ondes qu’ils protestent à chaque menace de régression. Il sera de plus en plus difficile de revenir en arrière.

Quelles pistes proposez-vous pour une véritable indépendance ?

La priorité consiste à rompre, grâce à l’éducation, avec la logique qui nous conduit à survaloriser tous les produits venant de l’extérieur y compris les diplômes, et à tourner le dos à la production. L’Afrique est le seul continent où la majorité de la population n’a pas envie de rester.

Cette situation est liée au choix des élites africaines qui, au moment de la traite, ont détruit l’artisanat et la métallurgie, préférant acheter le fer venu d’Europe, soumettre et vendre ceux qui auraient pu assurer la production.

Ce mépris des productions locales reste flagrant. Quand le président sénégalais Abdoulaye Wade reçoit le khalife des mourides, il lui offre non pas des chaussures fabriquées au Sénégal, mais un tableau fabriqué en Iran, son chef du protocole insistant devant les caméras sur ce point.

La vitalité de la population n’est-elle pas un immense atout ?

Nous avons toutes les ressources pour nous en sortir. Allez dans n’importe quel marché à 5 heures du matin, vous verrez des centaines de femmes qui suent sang et eau pour nourrir leur famille. Nous n’avons rien à apprendre du point de vue du courage physique. Notre problème, c’est ce groupe qui a militarisé les sociétés africaines à partir de la traite atlantique en connivence avec les compagnies européennes pour insuffler cette culture de prédation. Rompre avec cette situation est un très vaste programme.

Cela passe-t-il par l’unité du continent ?

Contrairement à ce que l’on prétend, le colonisateur ne nous a pas divisés, il nous a unifiés, mais sur des territoires découpés en fonction de ses seuls intérêts : l’évacuation des richesses via les ports. A notre époque, il s’agit de construire de nouvelles territorialités tournées vers nos besoins.

Le problème est que les gens qui veulent détruire l’Afrique sont unis, tandis que ceux qui veulent la construire ne le sont pas. Dès que nous cherchons à nous rassembler, on nous divise entre tidjanes et mourides, entre musulmans et chrétiens, entre Diolas et Sérères... On nous ramène à notre identité de "Noirs".

Ce sont autant de pièges que je combats. Tant que nous resterons atomisés, nos futurs resteront bloqués.

Propos recueillis par Philippe Bernard

Les dirigeants africains veulent "une place dans la gouvernance mondiale"

LEMONDE.FR Avec AFP 31.05.10 17h16

AP/Eric Gaillard Nicolas Sarkozy accueille le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, au Palais des congrès de Nice, lundi 31 mai.

Les dirigeants africains, soutenus par la France, ont appelé lundi 31 mai lors du sommet Afrique-France à Nice, à se voir attribuer toute leur place dans les grandes enceintes internationales, Conseil de sécurité de l’ONU en tête.

Au sein de ce conseil, l’Afrique ne peut continuer à être la "cinquième roue de la charrette", a souligné le président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso. "Le Conseil de sécurité ne peut rester sans l’Afrique, tel qu’il avait été décidé après la Seconde Guerre mondiale", a-t-il ajouté sur France Info.

"Il faut être prêt à faire une place à l’Afrique dans la gouvernance mondiale. (...) Aucun, absolument aucun des grands problèmes auxquels notre monde est confronté ne pourra trouver de solution sans la participation active du continent africain", a convenu en séance plénière le président français, Nicolas Sarkozy. Il est "absolument anormal que l’Afrique ne compte aucun membre permanent au Conseil de sécurité", a-t-il ajouté sous les applaudissements des cinquante et une délégations africaines représentées. Il a promis des "initiatives" lors de la présidence française du G8 et du G20, laquelle commence en fin d’année.

Le président égyptien, Hosni Moubarak, qui copréside le sommet, a lui aussi plaidé pour une meilleure représentation de l’Afrique. "Nous voulons à tout prix mettre fin à la marginalisation dont souffre le continent africain, pour qu’il puisse participer d’une voix claire et forte à la prise de décision politique et économique au niveau international", a déclaré le président égyptien.

En prélude au sommet, les ministres des affaires étrangères des pays représentés à Nice ont longuement débattu du sujet. "On n’a pas trouvé de solution. On a trouvé la manière de commencer à se donner les moyens d’être plus réaliste", avait expliqué à l’AFP et à la radio RFI le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner. Selon plusieurs diplomates africains, la discussion a été "houleuse", parfois "très dure". "Certains ont remis en question la légitimité de la France à lancer ce débat", selon un diplomate gabonais.

"ASYMÉTRIE DES PROFILS"

L’Afrique, qui représente 27 % du total des Etats membres des Nations unies, ne dispose que de trois sièges de membres non permanents au Conseil de sécurité, lequel voit une réforme pour tenir compte des nouveaux équilibres mondiaux bloquée depuis des années. Ce conseil est composé de cinq membres permanents (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France), puissances nucléaires dotées d’un droit de veto, et de dix membres non permanents. Depuis 2005, les pays africains réclament deux sièges permanents avec droit de veto et au moins deux sièges non permanents supplémentaires. La France plaide pour un élargissement progressif, qui commencerait par un siège permanent.

Au cours du sommet, qui s’achèvera mardi en milieu de journée, les dirigeants français et africains devaient aussi aborder les problèmes de terrorisme et de trafic de drogue, et les enjeux climatiques. Dimanche soir, sur ce dernier sujet, "les Africains ont souligné l’asymétrie des profils : entre l’Occident pollueur et l’Afrique polluée à qui on demande en plus des efforts", a résumé un diplomate gabonais. Présenté comme celui du "renouveau", le 25e sommet Afrique-France est ouvert pour la première fois à des acteurs non étatiques, notamment, lors d’ateliers, à des représentants de 150 entreprises africaines et 80 françaises.

Evoquant les "crises institutionnelles en Afrique", le président français a par ailleurs tenu à rappeler que la démocratie et les droits de l’homme n’étaient "pas des valeurs occidentales [mais] des valeurs universelles", à la "satisfaction" de l’ONG Human Rights Watch. L’ONG avait appelé les pays représentés à Nice à s’engager publiquement en faveur d’une justice nationale et internationale indépendante pour les violations graves des droits humains.

REACTION DU PCF

Sommet de Nice : en finir avec la Françafrique

Le 25e Sommet des chefs d’État de France et d’Afrique à Nice revêt une importance singulière en cette année du 50e anniversaire des « indépendances » africaines : les cinquante ans qui viennent de s’écouler sont cinquante ans d’indépendance sans souveraineté, cinquante ans d’une Françafrique de plus en plus rejetée.

L’accent mis dans ce sommet sur l’ouverture au monde économique – avec, pour la première fois, la présence de chefs d’entreprise et de représentants syndicaux pour, selon les participants, « favoriser les affaires » – risque fort de se faire au détriment de questions humaines particulièrement urgentes, comme celle de la faim qui touche aujourd’hui 265 millions de personnes en Afrique sub-saharienne. Il est pourtant impératif de s’attaquer au dramatique problème de la famine et de la crise alimentaire qui ne fait que s’aggraver dangereusement. Le sous-développement structurel, les politiques néo-libérales, les pratiques des multinationales et les soutiens dont bénéficient des régimes corrompus, sont à l’origine de cette situation catastrophique.

Dans ce contexte, la priorité donnée au volet économique devrait être l’occasion d’engager une véritable politique de coopération dans tous les domaines entre la France, l’Europe et l’Afrique. L’ouverture de zones de libre-échange pour le seul intérêt des groupes industriels et financiers – favorisée à l’heure actuelle par les Accords de partenariats économiques de l’ UE avec les pays d’Afrique – , est cependant la parfaite garantie du maintien d’un système néolibéral, profondément inégal et destructeur.

De même, la politique d’immigration de l’ UE favorise une pratique organisée de tri ultra-sélectif et répressif des migrants pour « faire du chiffre » en expulsant celles et ceux qui, pourtant, participent à la production de richesses et sont intégrés à la vie sociale du pays où ils résident, tout en étant le plus souvent victimes de discriminations et privés de leurs droits fondamentaux.

Pour ce Sommet, Nicolas Sarkozy dit vouloir « dresser un bilan décomplexé de 50 ans de relation France-Afrique ». Cinquante années durant lesquelles se sont exercées des formes néo-coloniales spécifiques de prédation et de domination qui perdurent contrairement aux annonces et aux discours officiels de rupture. Cette politique est aujourd’hui en crise avec l’affirmation des attentes sociales et démocratiques des peuples africains et leur volonté d’en finir avec cette Françafrique.

Il est impératif de refonder la politique de la France, en respectant la souveraineté des peuples africains, par une mise en cause de tous les mécanismes, les pouvoirs et les stratégies qui ont produit les problèmes et les crises actuelles : ajustements structurels, étranglements financiers par la dette, rôle des transnationales, contraintes du FMI, de la Banque mondiale et de l’OMC… C’est un tout autre rapport entre la France, l’Europe et l’ensemble du continent africain qu’il faut reconstruire sur la base de coopérations multilatérales pour le développement, la démocratie, la sécurité et la Paix.

Parti communiste français, Paris, le 31 mai 2010

Solène Björnson-Langen, attachée de presse de Marie-George Buffet, attachée de presse du Parti communiste français 01 40 40 12 22 /06 74 45 15 92/sbl@pcf.fr

REACTION D’ATTAC-FRANCE

Sommet Afrique France : rien à signaler

Les affaires continuent comme à l’habitude. Certes Nicolas Sarkozy a évité d’évoquer « l’homme africain, qui n’est pas rentré dans l’histoire », comme dans son discours de Dakar. Sans pour autant offrir aucune perspective nouvelle.

À la demande de l’Afrique d’être représenté avec deux sièges permanents au Conseil de sécurité de l’ONU, il répond par une promesse creuse : « la France prendra des initiatives » pour que l’Afrique « occupe toute la place qui lui revient ».

Sur le réchauffement climatique, la déclaration finale réclame que les pays du Nord débloquent « 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 », et évoque « le principe d’une taxe sur les transactions financières internationales » au profit du développement et de la lutte contre le changement climatique.

Des promesses vagues et lointaines, alors que Nicolas Sarkozy n’a pris aucune initiative pour mettre ces questions à l’ordre du jour du prochain G20. En outre la déclaration prône un renforcement du marché des droits d’émission de CO2, qui a démontré son incapacité à réduire les émissions de gaz à effets de serre.

La France s’engage à soutenir l’agriculture africaine à travers un fonds d’investisseurs de 120 millions de dollars. Somme dérisoire, alors que depuis les années 1960, les agricultures africaines ont été dévastées par les effets conjugués des exportations agricoles européennes et nord-américaines à des prix de dumping, des politiques d’ajustement structurel imposant les cultures d’exportation et l’ouverture des frontières, et des premiers dégâts du réchauffement climatique…

Les 100 milliards de dollars annuels actuels « d’aide publique au développement » du « Nord » vers le « Sud » servent largement à entretenir la dépendance et ne pèsent guère face aux 200 à 300 milliards de bénéfices déclarés par les multinationales, et aux 600 à 800 milliards de transferts illicites via les paradis fiscaux.

Après 50 ans d’une « aide » aux résultats si catastrophiques, un vrai changement de cap serait indispensable. La coopération avec l’Afrique doit d’abord passer par l’annulation de la dette illégitime (déjà plusieurs fois remboursée par le biais des taux d’intérêt élevés), la suppression des accords qui asservissent les économies africaines, ainsi que la reconnaissance du droit des États africains à protéger leurs économies.

Il faut mettre fin à l’interventionnisme militaire français et au soutien politique constant aux pires dictateurs mafieux du continent. Au-delà, de nouveaux accords internationaux sont indispensables, ne serait-ce que pour imposer des mesures efficaces contre l’utilisation de tous les paradis fiscaux et judiciaires et mettre en place un véritable fonds mondial de réparation de la dette écologique sous contrôle des Nations-Unies.

C’est pour transformer, avec les mouvements sociaux d’Afrique, ces propositions en actions et en mobilisations qu’Attac France et le réseau des Attac du monde participeront au Forum social mondial, prévu à Dakar en février 2011.

Attac France, Montreuil, le 2 juin 2010 http://www.france.attac.org/spip.php ?article11414


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